MOTS D’ICI.
Vaucluse matin Juillet 2008
Mots d’ici et mots d’antan
mots des troubaïris.
1. Pour la durée du festival et dès demain, nous allons, grâce à la chanteuse Hombeline, suivre les pas et les mots – mots d’ici et mots d’antan -, de femmes qui ont vécu sur notre sol à l’époque où le pont Saint-Bénézet n’existait même pas ; des « Chants d’émois », les voix des femmes troubadours, des « Troubaïris », qui ont écrit et chanté dans ce qui allait devenir la lengo nostro ; ces textes ont été traduits par Paul Peyre et mis en musique par Hombeline(CD en vente au palais du Roure pendant le festival). La plus célèbre des Troubaïris fut sans conteste Béatrice de Die. Voici tout ce qu’on sait d’elle, d’après sa « vida » écrite un siècle après sa mort : « La comtessa de Dia si fo moiller d’En Guillem de Peitieus, bella domna e bona. Et enamoret se d’En Rambaut d’Aurenga, e fez de lui mantas bonas cansos » (= « La comtesse de Die fut l’épouse du seigneur Guillaume de Poitiers, belle et bonne dame. Elle s’enamoura du seigneur Raimbaut d’Orange, et fit sur lui maintes bonnes chansons »).
2. « Belle damo de Dio … ».
A la mystérieuse « troubaïritz » Béatrice de Die, les félibres ont érigé en 1888 une statue, oeuvre de Clovis Hugues, qu’ils ont inaugurée le 10 août à Die, et toujours visible sur la petite place. A cette occasion, Félix Gras a dédié cette ode à la poétesse :
« Belle damo de Dio, estello de l’amour,
Toun front seren e pur clarejo coume uno aubo,
La garbo de toun pèu qu’oundejo sus ta raubo
Nous embaumo lou cor coume un jardin en flour »
(= « Belle dame de Die, étoile de l’amour, / Ton front serein et pur rayonne comme une aube, / La natte de tes cheveux qui sur ta robe ondoie, / Nous embaume le coeur comme un jardin fleuri »).
3. « A chantar m’er… ».
Longtemps le texte le plus connu de Béatrice de Die fut celui-ci, le seul qui soit accompagné de notations musicales d’origine : « A chantar m’er de so qu’eu no volria,/
Tant me rancur de lui cui sui amia,/
Car eu l’am mais que nulha ren que sia :/
Vas lui no’m val Merces ni Cortezia,/
Ni ma beltaz ni mos prètz ni mos sens ;/
Qu’atressi’m sui enganad’ e trahia/
Com degr’esser, s’eu fos desavinens » » (= « Ici je vais chanter ce que je voudrais taire,/ Tant j’ai fort à me plaindre de celui dont je suis l’amie ;/ Je l’aime plus que nulle chose qui soit / De lui ne valent ni Merci, ni Courtoisie, / ni ma beauté ni mon mérite ni mon esprit, / Je suis trompée et trahie/ Comme je le serais si je n’avais le moindre charme. »).
4. « Valer mi deu mos Prètz… ».
Hier nous avons vu la 1e strophe de la chanson de Béatrice de Die, seul texte accompagné de notations musicales originelles. La troubaïris y évoquait allégoriquement (majuscules) ses qualités, susceptibles d’inspirer l’amour. La dernière strophe les reprend comme en écho :
« Valer mi deu mos Prètz e mos Paratges / E ma Beutatz, e plus mos fins Coratges ; / Per qu’eu vos man, lai on es vostr’estatges, / Esta chanson, que me sia messatges » (= « Je dois pouvoir compter sur mon Mérite, ma Noblesse, / Ma Beauté et plus encore sur ma Sincérité de coeur ; / C’est pourquoi je vous mande, là-bas, en votre demeure / Cette chanson qui me servira de messager ») (CD Chansons d’émois, Hombeline, traduction Paul Peyre, plage 10).
5. « E volh saber.. »
« E volh saber, lo meus bels amics gens, / Per que vos m’ètz tant fèrs ni tant salvatges : / No sai si s’es orgolhs o mals talens. » (= « Je veux savoir, mon bel et noble ami, / Pourquoi vous êtes à mon égard si farouche et si sauvage : / Je ne sais si c’est orgueil ou malveillance »). Et délicatement se termine, dans la traduction française, ce poème dont nous avons déjà vu deux extraits (« A chantar m’er » et « Valer mi deu ») : « Mais je veux que tu lui dises, messager, / Que par excès d’orgueil maintes gens sont blessées ». Linguistiquement, on ne s’étonnera pas de voir des « s » en finales de mots au singulier : la langue médiévale décline sous 2 formes ses noms et adjectifs (cas sujet/ cas complément), et de même au pluriel, la 1e souvent terminée par un « -s » au singulier.
6. « Mout mi plai… ».
« Mout mi plai car sai que val mais /
Cel que plus desir que m’aia » (= « Il me plaît infiniment et je sais qu’il a de la valeur, celui dont je désire le plus qu’il me possède »). On apprécie ici la poignante concision du poème médiéval (15 mots, contre 23 dans la traduction), dont la simplicité exprime la violence du désir amoureux, mais aussi l’estime liée à l’amour – on ne peut aimer si l’on n’admire pas – : il « val mais », c’est-à-dire il a plus (« mais » est directement issu de « magis » latin) de valeur, plus de prix que tous les autres (CD « Chants d’émoi », plage 1).
7. « … E cel que primiers lo m’atrais… ».
« … E cel que primiers lo m’atrais, / Dieu prec que gran joi l’atraia. ». « Il me plaît infiniment », chantait hier Béatrice de Die de son amant, et elle poursuit : « … Et qu’à celui qui l’a attiré vers moi, / Dieu donne grande joie ». A défaut de penser à Cupidon ou autre lutin farceur – ce qui serait le cas dans l’Antiquité ou dans un poème mythologique, fût-il médiéval -, sans doute faut-il croire que la poétesse souhaite bénédiction pour celui – ami, parent ?- qui les a présentés l’un à l’autre; l’absence de sources biographiques nous contraint aux conjectures. Du moins l’intensité du bonheur est communicative…
8. « E qui que mal l’en retraia…. ».
« E qui que mal l’en retraia : / No’l creza fors qu’ie’l retrais ;/ Qu’om cuolh maintas vetz los balais / Ab qu’el mezeis se balaia » (= « Et si quelqu’un dit du mal de moi, qu’on se garde de le croire / Car souvent l’on cueille les branches qui nous-mêmes nous balaieront »). Voilà un souci bien joliment exprimé du qu’en-dira-t-on. Ces 4 vers du poème de Béatrice de Die (traduction Paul Peyre, in « Chants d’émoi », CD Hombeline, plage 1), tout comme les 2 qui les précèdent (notre édition d’hier) ont la particularité de jouer 2 à 2 sur le même verbe en fin de vers (la rime n’existe pas encore telle que nous la connaissons) sous des formes à peine différentes.
9. « Amics, la vostra valensa… ». (chanson 1).
« Amics, la vostra valensa / Sabon li pro e li valen ;/ Per qu’ieu vos quier de mantenen, / Si’us plai, vostra mantenença » (= « Ami, les preux et les vaillants connaissent votre valeur ; / Je vous prie donc de m’accorder, s’il vous plaît, votre protection », Béatrice de Die, « Chants d’émoi », traduction Paul Peyre). La vaillance et la valeur morale (même étymologie dans les 2 substantifs) sont au Moyen Age les qualités essentielles d’un homme digne d’être aimé, l’amour courtois ne s’attachant qu’à un individu, homme ou femme, estimable et reconnu comme tel. Notons au passage le terme « mantenença », ancêtre de l’actuel « mantenenço », qui désigne aujourd’hui spécifiquement le respect et le maintien des traditions provençales.
10. « Ben volria mon cavalier… » (chanson 5).
« Ben volria mon cavalier / Tener un ser en mos bratz nut / Qu’el se’n tengra per ereubut / Sol qu’a lui fezés cosselhier » (= « Je voudrais mon chevalier / Tenir un soir dans mes bras nus / Et qu’il se tînt pour comblé / Si seulement je lui servais de coussin », Béatrice de Die). Quelle pudique audace dans ce quatrain ! L’inversion du groupe verbe-complément (« mon cavalier tener »), 1e transgression, annonce les autres, d’un autre ordre. L’heure vespérale (« un ser ») ? ce n’est que la promesse de la nuit qui va la prolonger ; les bras nus ? délicate métonymie pour en dire sans doute bien davantage. Quant au 2e distique, il garde son mystère : est-il une anticipation de l’union (« ereubut ») ou au contraire le souhait de ne pas brûler les étapes (« sol que.. ») ? C’est précisément le mystère que cultive la poétesse….
11. « Amics, tant ai d’ira… ». (chanson 4).
« Amics, tant ai d’ira et de feunia / Quar no vos vei, que quan ieu cug chantar / Planh et sospir… » (= « Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir / De ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, / Je me plains et je soupire… »). Quelques années après Béatrice de Die (vers 1150), voici une autre troubaïris, Clara d’Anduze (1e moitié du 13e siècle ?). Uc de Saint- Circ, son noble amoureux, l’avait tant louée dans ses poèmes que des témoignages d’admiration parvenaient de toute la contrée à la belle dame ; une voisine jalouse, Ponsa, attira Uc dans ses filets, puis sa ruse fut heureusement déjouée et Uc revint vers Clara. Celle-ci écrivit son seul, long poème, de souffrance et de fidélité.
12. « Amics, tant ai d’ira… » (suite).
Complétons aujourd’hui le distique commencé hier : « Amics, tant ai d’ira et de feunia / Quar no vos vei, que quan ieu cug chantar / Planh et sospir per qu’ieu non puesc so far / Ab mas coblas que cors complir volria » (= « Ami, j’éprouve tant de colère et de désespoir / De ne pas vous voir que lorsque je pense chanter, / Je me plains et je soupire parce que je ne puis faire / Avec mes couplets ce que mon cœur voudrait accomplir. »). Clara d’Anduze exprime dans cet unique poème sa poignante révolte contre la trahison, et l’impossibilité de la poésie à compenser la douleur de la réalité. Les mots, très courts, se bousculent, les consonnes se heurtent rudement (c, p..), les rimes sont embrassées (abba) : autant d’indices potentiels du bouleversement psychologique
13. (chanson 9). « Ar em al freg temps vengut… »
« Ar em al freg temps vengut / Quel gels el neus e la fanha (variante : fainga) ; / El aucellet estan mut, / Qu’uns de chantar non s’afranha (variante : s’afrainga) » (= « Voici arrivés le temps froid, / Le gel, la neige, la fange ; / Les oiseaux sont si muets , / Aucun d’eux ne veut plus chanter »). Le froid de l’hiver comme métaphore de la douleur d’aimer est récurrent dans la poésie médiévale. Azalaïs de Porcairagues, auteur de cette unique chanson de 52 vers, passe pour la 1e troubaïris connue ; originaire de la région de Montpellier (Portiragnes, à une dizaine de kilomètres ?), elle fut amoureuse de Gui Guerrejat, cousin du plus ancien troubadour provençal, Raimbaut d’Orange (mort en 1173), ce dernier étant lui-même un ami de Béatrice de Die.
14. (chanson 9). « E son sec li ram… »
« … E son sec li ram pels plais / Que flors ni folha non i nais, / Ni rossignol no i crida / Que l’am s’en mai me reissida » (= « Les rameaux sont si secs dans les haies, / Ni fleur ni feuille n’y poussent. / Ni le rossignol n’y chante, / Lui que j’aime lorsqu’il m’éveille »). Rameaux secs, coeur sec, c’est souvent par ce parallélisme qu’un poète (une poétesse) se plaint de l’insensibilité de l’aimé(e) ; ici la simplicité plaide pour la sincérité, l’authenticité du sentiment, la vérité de l’observation du monde. C’est la 2e moitié de la 1e strophe du poème d’ Azalaïs de Porcairagues, la suite du quatrain proposé hier.
15. (chanson 9). « Tant ai lo cor deceubut… »
« Tant ai lo cor deceubut, / Per qu’ieu soi a totz estranha, / E sai que l’om a perdut / Molt plus tost que non gazanha » (= « J’ai le coeur si désabusé, / A tous je suis étrangère / Et je sais que l’on perd en amour / Bien plus vite que l’on ne gagne »).
Azalaïs de Porcairagues, auteur de cette unique chanson de 52 vers qui nous soit parvenue – elle aurait écrit bien d’autres textes, tous adressés à Gui Guerrejat -, laisse entendre que son histoire d’amour a connu des moments difficiles, mais on n’en saura pas plus. Même la « tornada » (ou envoi, ou couplet final, de moitié plus court que les autres strophes comme l’impose le genre) ne nous éclaire pas davantage sur la biographie de la poétesse.
16. « Fin Joi me don’alegransa ».
« Fin Joi me don’alegransa / Per qu’eu chan plus gaiamen, / E non me tenh a pensansa / Ni a negun pensamen » (= « La joie d’amour me donne allégresse. / Pour cela je chante gaiement ; / Je ne me tiens pas dans la peine / Ni dans aucun tourment »).
L’amour courtois était un amour éthéré, et les troubadours (hommes) chantaient la femme inaccessible ? Voilà que les troubaïris (femmes) – ici Béatrice de Die – répondent avec simplicité, avec authenticité, avec fougue : nous sommes des femmes de coeur et de chair, et nous revendiquons notre droit à l’amour. Une belle audace !
17. « Que mi donetz, bèla Domna, si’us platz… »
« Que mi donetz, bèla Domna, si’us platz / Co dont plus ai d’aver joi esperança; / Car en vos ai mon cor e mon talan / E per vos ai tot ço qu’ai d’alegrança, / E per vos vauc mantas vetz sospiran » (= « Que vous m’accordiez, belle Dame, s’il vous plaît, ce dont j’espère avoir le plus de joie : car c’est en vous que j’ai mis mon cœur et mon désir, et c’est par vous que j’ai tout ce qu’il y a en moi d’allégresse, et pour vous que je vais maintes fois soupirant(e). »). Ce texte, qui contient tous les clichés de l’amour courtois, est le seul adressé à une femme et signé d’un prénom à consonance lui aussi féminine, Bieiris de Romans ; néanmoins aucun indice grammatical dans les 24 vers du poème ne confirme son caractère saphique.
18. « Una gens enojosa e fera… ».
« Una gens enojosa e fera, / Cui gautz ni bes ni alegrers non platz, / Nos guerrejan, dan mos cors es iratz, / Quar per ren als senes vos non estera » (= » Mais des gens importuns et méchants, / A qui ni joie, ni vertu, ni allégresse ne plaisent, / Nous font la guerre, ce dont mon coeur s’irrite ; / Car pour rien au monde sans vous je ne saurais rester »). La « troubaïritz » anonyme, auteur de ce poème, ne se morfond pas en lamentations devant les tracasseries des jaloux : son quatrain est péremptoire, syntaxiquement bien construit, indice d’une volonté à qui l’on ne s’attaque pas impunément.
19. « Gaug entier non posc ses vos aver ».
« Gaug entier non posc ses vos aver, / A cui m’autrei lejalmen ses enjan, / Eus lais mon cor en gatge, on qu’ieu m’an » (= « Je ne peux éprouver de vraies joies sans vous, / Vous à qui je pourrais me donner loyalement et sans mensonge. / Je vous laisse mon coeur en gage où que j’aille »). Dommage que ce texte de deux octains, intitulé « Bels dous amics », soit anonyme ! L’auteure est une personnalité affirmée, fougueuse, authentique. Sa sincérité ne peut que forcer la sympathie, et l’on suppose que le « bels cors cortes et enseignatz » (« beau coeur noble et instruit ») n’a pas dû résister longtemps…
20. « Non a un nom mon amador ».
« Non a un nom mon amador, /
Que pren aquel de l’aura /
Quan fremeja /
Sobre las mias bocas » (= « Mon amant n’a pas de nom, / Il prend celui du vent / Quand il frémit / Sur mes lèvres »). La chanteuse-musicienne Hombeline puise aussi son inspiration dans sa passion brûlante « entre le Rhône et Vence, entre mer et Durance »,elle ressemble à ces femmes de la fin du Moyen Age, audacieuses dans leur vie et dans leurs mots, qui ont vécu des histoires « excessives, ardentes et sèches comme nos paysages », dans la lumière qui « vacille d’espérance en désespérance ».
21. « La Prouvenço cantavo e lou tems courreguè… ».
C’est deux siècles après les troubadours que la Provence avec Palamède de Forbin comme lieutenant général) sera annexée à la France (le roi est alors Louis XI), et que tous les rois de France seront dits comtes de Provence et se reconnaîtront comme tels ; cela inspirera à Frédéric Mistral, presque quatre siècles plus tard, quelques vers d’une sobre nostalgie : « La Prouvenço cantavo e lou tems courreguè ; /
E coume au Rose la Durènço /
Perd à la fin son escourrenço, /
Lou gai reiaume de Prouvenço /
Dins lou sèn de la Franço à la fin s’amaguè » (« La Provence chantait, le temps courait. / Et comme au Rhône la Durance / Perd à la fin son propre cours, / Le gai royaume de Provence / Dans le sein de la France à la fin se blottit », in « Miréio », XI).
22. « Ab Joi e ab Joven m’apais… ».
Dans ce Moyen Age que l’on a trop longtemps imaginé comme triste et morose, voilà qu’une amoureuse fait éclater sa joie et que ses vers sont éclaboussés de bonheur : « Ab Joi (« o » accent grave) e ab Joven m’apais / E Joi e Joven m’apaia, / Que mos amics es lo plus gais / Per qu’ieu sui coindet’ e gaia / E pois (« o » accent grave) ieu li sui veraia » (= « joie et Jeunesse me comblent, Et je vis de Jeunesse et de Joie, / Car mon ami est le plus gai ; / C’est pour cela que je suis aimable et gaie », Béatrice de Die). Ces accents inattendus (Musset n’écrira-t-il pas, bien plus tard : « Les plus désespérés sont les chants les plus beaux » ?) nous la rendent éminemment sympathique…
23. « Domna qu’en bon pretz s’enten… ».
Naïveté juvénile, ou vanité inconséquente de l’amoureuse ? Du moins Béatrice de Die est tellement charmante dans son enthousiasme ! « E Domna (« o » accent grave) qu’en bon pretz s’enten / Deu ben pausar s’entendensa / En un pro cavalier valen ; / Pois (« o » accent grave) qu’ilh conois sa valensa, / Que l’aus amar a prezensa ; / Que Domna, pois am’a prezen, / Ja pois li pro ni l’avinen / No’i diràn mas avinensa » (= « Dame qui s’entend en mérite / Devrait savoir s’accorder à un preux et vaillant chevalier / Dont elle a perçu le courage / Et oser l’aimer devant tous ! / D’une dame aimant au grand jour, / Toujours les braves et vaillants ne diront que gentillesses »).
24. « Car ieu begui de l’amor… ».
Raimbaut(d) IV d’Orange (1140-1173), qui prit pour armoirie le cornet, adopté ensuite par la ville dans son écusson, fut le 1er troubadour connu et grand amateur de femmes (qui le lui rendaient bien), notamment les poétesses Béatrice de Die, Azalaïs de Porcairagues. De celle-ci il dit aimablement (traduction) : « Mais ma belle jongleuse devinera bien. Elle a tant de mérite, elle m’est si dévouée / Que jamais d’elle ne me viendra aucun tourment ». Et après l’abandon, Azalaïs, qui ne connaissait pas la demi-mesure, exprime sa douleur : « Je me suis laissé prendre par de bonnes paroles. / D’Orange vient mon trouble, je suis tellement perdue ! Une bonne part de ma joie m’est ravie ». Raimbaut était plus poète qu’amoureux constant : « Car ieu begui de l’amor… Que ja us dein amar celada / Ab Tristan, quan la il det Yseus gent… »
25. « Tan trac pena d’amor / Qu’a Tristan l’amador / Non avenc tant de dolor / Per Yseut la blonda » (= « J’ai tant souffert d’amour / Que Tristan l’amoureux / N’éprouva pas autant de douleur / Pour Yseut la blonde », traduction GD). Bernard(t) de Ventadour (1130-1215), auteur de ce quatrain délicat, est le fils d’un serviteur du château de Ventadour, initié à l’écriture par son seigneur ; chassé du château pour une affaire amoureuse, il se réfugie auprès d’Aliénor d’Aquitaine puis de Raimon V, comte de Toulouse. À la mort de celui-ci, il se fait moine. L’ensemble de son oeuvre est consacré à la Fin’Amor, l’amour courtois et délicat. Mais à partir 1277 l’Eglise interdira le chant courtois, réservant à la Vierge, à une femme éthérée, les hymnes d’adoration.
26. Marcabru (1129-1150), d’origine gasconne, était un enfant trouvé ; son protecteur Guillaume X d’Aquitaine, prendra ombrage des poèmes qu’il adressera à son épouse, Aliénor. Jongleur, il parcourra alors les cours du midi de la France. Sa poésie, pittoresque, parfois truculente parfois complexe, dénonce l’aristocratie de son temps. Il est aussi l’auteur de la 1e pastourelle connue (poésie pastorale, en opposition avec la poésie courtoise et raffinée) : « L’autrier, a l’issida d’abriu, / En uns pasturaus lonc un riu, / Et ab lo comens d’un chantiu / Que fant l’auzeill per alegrar, / Auzi la votz d’un pastoriu / Ab una mancipa chantar. »
Geneviève Dewulf Allène
Ces articles de presse ont été publiés dans Vaucluse matin dans la rubrique : « Mots d’ici » du 3 au 29 Juillet 2008